Le 9-3
Je pique cette note à Sixteene, parce qu'elle m'a plu, et qu'en plus l'auteur a demandé à ce qu'on la diffuse, alors bon, moi je suis pas contrariante... Le contexte : le documentaire de Yamina Benguigui : 93, mémoire d'un territoire, diffusé sur Canal+.
"Je n'extrapolerai pas sur la construction annoncée du ghetto pour des raisons industrielles puis politiques (le 93 a été dessiné pour enclaver la "banlieue rouge", c'est à dire toutes les municipalités communistes que les gouvernements successifs voulaient garder à l'oeil).
Que pour réaménager ces terrains vagues totalement sinistrés, y construire des logements (autres que sociaux, passque ça va, hein, merci, on est servis pour le coup), des écoles, des crèches, des hôpitaux, il faudrait dépolluer. Que cette dépollution a un coût tellement important que personne ne s'y colle et que l'on reste avec des friches industrielles à perte de vue (et le Stade de France a été construit sur une méga nappe d'hydrocarbures...hein...voilà quoi). Et que lorsqu'il a été question de construire le village olympique pour Paris 2012 (d'façons, Londres nous a piqué la place donc maintenant, on s'en tape un peu) la DRIRE (Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement) et la préfecture de Seine-Saint-Denis ont planqué nombre de dossiers plombés (ah ça oui, pour le coup, super plombés, huhuhu) parce que construire un village olympique sur une zone polluée +++++ depuis plus d'un siècle...ça le fait moyen au niveau de l'image sportive et saine...
Ces images ont mis fin dans mon
esprit à des années et des années de prise d'otages par les médias qui nous
balançaient immanquablement, à chaque reportage "sur la banlieue"
toutes les 30 secondes des images de jeunes encagoulés et toutes écharpes
dehors pour hurler "Nique ta mère" et autres mots d'amour en lançant
des caillasses et/ou des cocktails explosifs sur les camions de CRS / pompiers
/ ambulances (raye la mention inutile).
J'ai appris qu'à la fin des
années 50, il n'y avait aucun lycée et aucun collège dans le
futur département du 93 (qui a été créé en 1964 suite au nouveau découpage de
la région parisienne). Hein, aucun lycée et aucun collège. La
population est ouvrière et il n'y a aucune opportunité, après le certificat
d'études, pour s'élever socialement. Ou alors prendre le train pour aller dans
les lycées parisiens ou de l'ouest parisien. Voilà. Déjà. Ghetto d'ouvriers.
Bing (et non non non, je ne ferai aucun lien aujourd'hui avec le nombre de
lycées de Seine-Saint-Denis qui ont des classes prépas et des classes de BTS
-un petit nombre, quoi -...et ne me dites pas que l'Etat favorise l'ascenceur
social, hein. Ne me dites pas !!!!!).
J'ai entendu une avocate
d'origine malienne, à qui on a dit ("on" est un prof, hein, of
course), toute jeune, quand elle évoquait son envie de passer le bac et de
devenir avocate : "Il faut être raisonnable, voyons !". Abruti (de
prof).
Après avoir eu sa capacité en
droit, elle a envoyé 300 CV pour rechercher une collaboration, a eu 10
rendez-vous qui n'ont abouti à rien. Après un passage à Washington, elle est
revenue en France et elle a encore mis 7-8 mois pour trouver une collaboration,
malgré son CV béton. Elle s'est installée au barreau de Seine-Saint-Denis et
elle travaille depuis dans ce département auquel elle tient.
J'ai entendu un jeune bachelier
(qui a suivi un enseignement général dans le lycée où j'enseigne,
hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii) dire que ses frères avaient respectivement
bac+4 et bac+6 (mastère en gestion de réseaux informatiques). Que celui qui
avait bac+4 avait cherché pendant 2 ans, écrit à 350 entreprises, n'avait
décroché aucun job et avait fini par devenir chauffeur de taxi. Que son frère à
bac+6 avait trouvé un job...après avoir "enlevé le 93 de son CV"
(sic) en y mettant à la place le 94, bien plus porteur comme département en
termes d'opportunités et bien moins stigmatisé.
Ce jeune qui raconte s'être fait
contrôlé 9 fois dans la même après-midi juste parce que "délit de
faciès", qui déclare que la ville qu'il habite est la plus jeune de France
en terme de population, et qu'il n'y a ni cinéma, ni centre commercial, ni
centres de loisirs, ni infrastructures de transports suffisantes pour s'évader
du ghetto de la cité alors ils jouent dans la rue et s'y font renverser...ou
restent dans les halls des tours parce que le taux de chômage est de 40 %. Ce
jeune préparait l'entrée à Sciences Po et projetait de faire du droit s'il
échouait au concours.
J'ai entendu le directeur de
l'IUT de Paris XIII (Villetaneuse-Bobigny) raconter la crainte de ses étudiants
sur la stigmatisation qu'a le territoire sur leurs études (et quand on lit ce
que je viens d'écrire au-dessus, on se dit que "Ben ouais, quoi").
Qu'ils seront titulaires d'un diplôme national (un DUT donc) mais qu'ils seront
mis en concurrence avec celui de Sceaux ou celui de Paris-V. And guess what ?
On prendra les autres avant eux (bon, le directeur de l'IUT, il disait pas ça,
mais on le sentait gros comme une maison, hein).
Je concluerai juste comme le
reportage...avec des photos de célébrités multiples et variées originaires de
ce département si terrible mais si riche, dont je cite les noms ici :
- Jean-Baptiste Mondino
(réalisateur et photographe) - Aubervilliers
- Roschdy Zem (acteur) - Drancy
- Pierre Desproges (humouriste) -
Pantin
- Virginie Ledoyen (actrice) -
élevée à Aubervilliers
- Elodie Bouchez (actrice) -
Montreuil
- Grand Corps Malade (chanteur) -
Le Blanc-Mesnil
- Jean-Marc Mormeck (boxeur) -
élevé à Bobigny
- Kamel Ouali
(chorégraphe...ouais, bon...pas toujours de bon goût, j'admets) - Saint-Denis
- Muriel Hurtis (athlète) - Bondy
- Joey Starr (chanteur...condamné
pour violences, ok...ok...) - Saint-Denis
- Faïza Guène (romancière de 23
ans) - Bobigny
et (quand même, excusez du peu) :
- André Malraux (écrivain et
homme politique) élevé à Bondy (et qui n'est pas bachelier, hein...)"